Le Cameroun face aux réfugiés centrafricains. Comprendre la crise migratoire et les résiliences subséquentes.

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LE CAMEROUN FACE AUX RÉFUGIÉS CENTRAFRICAINS. Comprendre la crise migratoire et les résiliences subséquentes

Par

Alphonse Zozime TAMEKAMTA, Ph.D.

Histoire des relations internationales

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Introduction

Le Cameroun est présenté comme la principale terre d’accueil des réfugiés de l’Afrique centrale  en général et des Ccentrafricains en particulier. Cela est dû à l’effondrement du tissu éducationnel centrafricain qui a entrainé une migration massive des Centrafricains au Cameroun[1]. Limitrophe avec la RCA au Sud-est avec laquelle il partage 800 km de frontière commune, le Cameroun est le pays le plus ouvert à la dynamique migratoire des refugiées centrafricains.

Loin de vouloir faire l’examen du problème de l’immigration interafricaine dans la dynamique de construction des territoires ou de déterminer le rôle de celle-ci dans la ruée des étudiants centrafricains vers le Cameroun, cette réflexion se propose de questionner, outre les trajectoires migratoires, leur intégration sociale et l’enjeu majeur qu’elle suscite pour le Cameroun.

Mots clés : Centrafrique, crises, migration, réfugiés, résilience.

I-Portrait géopolitique et sécuritaire de la République Centrafricaine

            A-Brève histoire politique de la Centrafrique

La République Centrafricaine, ancienne colonie française appelée Oubangui-Chari, est devenue indépendante le 13 août 1960. Avec 622 984 km2 de superficie pour une population estimée à 4,6 millions en 2012, la trajectoire coloniale de ce pays est similaire aux autres territoires de l’AEF. Plusieurs décennies avant l’accession à l’indépendance, la population est soumise aux travaux forcés dans les plantations de coton situées dans les régions méridionales. Le prélèvement excessif de l’impôt de capitation a permis à l’administration coloniale de satisfaire ses besoins financiers et de légiférer l’injustice déjà contestée par le mouvement social conduit par Barthélémy Boganda, premier prêtre oubanguien ordonné le 27 mars 1938. Le Mouvement pour l’émancipation sociale de l’Afrique noire (MESAN), à forte connotation messianique dont il est fondateur, est le canal par lequel il a marqué sa révolte contre la hiérarchie catholique[2] et l’administration coloniale française. De même, le MESAN avait permis de mobiliser des énergies pour la mise en place d’une cellule initiale d’un vaste ensemble interafricain qui n’a pas, malheureusement, prospéré[3]. Après sa mystérieuse mort par accident d’avion le 29 mars 1959, son cousin David Dacko lui succède. Celui-ci a livré le pays à la merci de nombreuses influences jusqu’au « putsch de la Saint-Sylvestre »[4] par lequel son cousin éloigné, le colonel Jean-Bedel Bokassa, prit le pouvoir. Après s’être fait introniser empereur le 4 décembre 1974, il est évincé en 1979 par « l’opération Barracuda »[5] après 14 ans de règne. Son sacre impérial, au départ acquiescé par la France, structuré autour du mimétisme napoléonien dans la cour de Barengo[6], s’est accompagné de l’assèchement total des caisses de l’État et de la souillure/dénature du Centrafricain dans son amour propre. Revenu au pouvoir en 1979 par les soins de la France, David Dacko, fortement marqué par une illégitimité permanente et accusé d’usurpation par ses ennemies, a vraisemblablement approuvé le « putsch par consentement mutuel» du 1er septembre 1981 à travers lequel le général André Kolingba prend les rênes du pouvoir[7].

A la faveur de la libéralisation politique des années 1990, les premières élections présidentielles, du 22 août 1993, dites « démocratiques », ont vu la victoire d’Ange-Félix Patassé du MLPC avec 56,05% des voix (contre 46,51% pour Abel Goumba, candidat de la Concertation des forces démocratiques). Dix ans plus tard, le 15 mars 2003, outrée par une série disproportionnée de mutineries et de rebellions plus ou moins maîtrisée, la RCA replonge dans la violence après la prise de pouvoir par le général François Bozizé, ex-chef d’état major des FACA, à la tête d’une coalition rebelles appelée les Libérateurs[8]. Le 24 mars 2013, une curieuse rébellion, la Séléka, à la tête de laquelle se trouve Michel Am Nondroko Djotodja, réussi le dernier coup de force en mettant en déroute les FACA ; d’où le drame humanitaire et humain dont la saignée semble apaisée avec l’investiture de Faustin-Archange Touadéra, intervenue le 30 mars 2016.

            B-Juxtaposition des crises et conflits diffus

Depuis le 24 mars 2013, date du coup d’État de la Séléka, la RCA est plongée dans le chaos. Présentée comme un État failli en treillis, un État fantôme ou un État-canon[9] en proie à la somalisation[10] ou au pré-génocide, la RCA convoque à son chevet, depuis plus d’une décennie, plusieurs organisations politiques (CEMAC, CEEAC, UA, UE, ONU) et humanitaires (Human Rights Watch, UNICEF etc.).

Sur le plan géopolitique ensuite, la RCA présente une grande vulnérabilité. On y note une dynamique de reterritorialisation avancée sous-tendue par de vastes mouvements d’immigration, des litiges frontaliers et des conquêtes de terres minières. La localisation des richesses[11] -phénomène tout à fait naturel- et la difficulté du gouvernement central à en faire une équitable distribution, enveniment les relations intertribales. La gouvernance (politique, sécuritaire, administrative, social etc.), mal articulée depuis l’amorce de démocratisation dans ce registre, n’est pas moins indexée comme incubateur de la violence. Les enjeux qui en découlent structurent, certainement, l’engagement des acteurs étatiques extérieurs (Afrique du Sud, Tchad, Congo-Brazzaville, Angola etc.) et non étatiques (LRA de Joseph Kony, combattants soudanais et tchadiens).

De manière générale, le nombre croissant des déplacés internes (1,6 millions) et le difficile retour dans les habitations du fait de l’insécurité et des pillages, contribuent à accroitre le risque d’insécurité alimentaire. Car, bien que 763 000 tonnes de céréales et manioc aient été récoltées en 2014 selon le rapport du FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et du PAM (Programme alimentaire mondial), soit une hausse de 11% par rapport à la saison 2013, le risque d’une sous-alimentation et d’une malnutrition pourrait aggraver la situation humanitaire. Pour cause, la baisse généralisée de la production par rapport à la période d’avant crise, de l’ordre de : 77% de chute de la production animale du fait du vol du bétail ; 40% de chute de la production du poisson due à l’insécurité dans les zones de pêche ; 40 à 50% de chute des stocks alimentaires due aux multiples pillages. Au total, entre mars et août 2014, les denrées alimentaires de base ont connu une hausse des prix de l’ordre de 30 à 70%.

            C-Impact sous-régional de la crise  centrafricaine

Depuis plus d’une décennie, les conflits se sont superposés dans le pays mettant en déplacement plusieurs milliers de Centrafricains dont 200 000 déplacés internes en 2003 ; 212 000 durant la guerre civile de 2004-2008, 394 000 en septembre 2013 et 922 000 en janvier 2014. Aussi, plusieurs milliers se sont-ils établis dans les pays voisins en mars 2014 dont 130 187 au Cameroun[12], 55 533 en RDC, 87 000 au Tchad, 14 108 au Congo-Brazzaville[13]. La gravité de l’impact sous-régional des crises centrafricaines, plus haut énoncée, n’éclipse malheureusement pas un autre phénomène inverse lié à l’impact subi par la RCA du fait des crises aux confins des pays limitrophes. Car, les périphéries territoriales du pays, exposées à l’inflation des conflits en RDC, au Congo-Brazzaville (1995-1997), au Tchad (1989-1990) et plus récemment au Soudan du Sud (2012-2014) sont devenues des points de passage des armes légères et de petit calibre. Selon Small Arms Survey (2005), environs 50 000 armes légères étaient en circulation dans le pays. La dissémination, à travers le territoire national, des armes de guerre constitue l’un des défis urgents. L’arsenal de guerre[14], saisi à Bangui le 14 mars 2014, en apporte la preuve.

Dans cet environnement, les droits de l’homme sont bafoués. La FIDH en dégage plusieurs, de nature différente : violence physique (coups, tortures etc.), violences et crimes sexuels, prélèvement illégal des taxes, disparitions forcées, détentions arbitraires, confiscation et pillage des biens privés, enrôlement des enfants par les milices, etc.

II-Trajectoires migratoires des refugiés centrafricains au Cameroun : errance, altérité et soi

            A-Couloirs migratoires des refugiés : de la RCA au Cameroun

Le Cameroun est signataire, comme beaucoup d’autres, de plusieurs traités et conventions sur les refugiés dont : la convention de 1951 relative au statut des refugiés (signée le 23 octobre 1961), le Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés (le Cameroun y adhère le 19 septembre 1967), le Convention de l’OUA de septembre 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique. En outre, le Cameroun a adopté en juillet 2005 une loi définissant le cadre juridique de protection des réfugiés, laquelle est entrée en vigueur en novembre 2011.L’adhésion à ces traités internationaux et l’accueil optimal des réfugiés, font incontestablement du Cameroun un pays hospitalier et soucieux de la cause humanitaire.

Ce faisant, en l’absence des données statistiques (à accès facile) actualisées, il est difficile d’identifier des couloirs prioritaires de migration des réfugiés centrafricains en direction du Cameroun. Toutefois, des statistiques concordantes attestent que des familles fuyant les violences en RCA en 2014 avaient fait le voyage depuis Bangui, en bus ou par camion (escortés souvent par la MISCA[15] devenue MINUSCA[16]), tandis que d’autres ont quitté leurs villages à pied. Les agences humanitaires évoquent, généralement, qu’au regard de la longueur de la frontière Cameroun-Centrafrique, plus de 30 points d’entrée[17] délimite une zone active de 50 000 kilomètres carrés. Outre ces différents points ainsi que de dizaines dissimulés et non répertoriés, les réfugiés centrafricains sont entrés/entrent au Cameroun par trois principaux points : Kentzou (Est), Garoua-Boulai (Est) et Ngaoui (Adamaoua)[18].

            B-Installation et gestion des sites et camps de refugiés

Partageant 800 km de frontière commune avec la RCA, le Cameroun accueille le plus grand nombre de réfugiés centrafricains. Ceux-ci sont installés sur plus de 314 sites et villages éparpillés dans les régions administratives du Nord, de l’Adamaoua et surtout de l’Est. Ces dernières années, ce qui restait de l’État centrafricain s’est brusquement effondré avec de graves conséquences humanitaires. En mars 2014, les pays voisins ont accueilli des centaines de milliers de réfugiés centrafricains dont 141 283 au Cameroun (dont 70 221 dans les sites identifiés, 65 073 hors des sites et 5 989 enregistrés à Yaoundé et Douala). Selon les statistiques fournies par le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) en 2015, 225 000 réfugiés centrafricains se trouvaient au Cameroun. En juillet 2016, le HCR et l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) dénombraient 258 000 réfugiés centrafricains installés au Cameroun[19].

Carte : Zones d’entrée et d’installation des réfugies centrafricains au Cameroun

Source : Pierre Kamdem, « Scolarisation et vulnérabilité : les enfants réfugiés centrafricains dans la région de l’Est-Cameroun », Espace populations sociétés, 2016/3, 2017.

En juillet 2014, le HCR avait identifié l’Est comme principal foyer et répertorié cinq sites principaux d’installation des réfugiés centrafricains dans cette région : Lolo (10 746 réfugiés) ; Mbile (9 310 réfugiés) ; Timangolo (6 288 réfugiés) ; Ngarisingo (673 réfugiés) ; Gado-Badzere (14 997 réfugiés) ; soit un total de 42 014 réfugiés dans ces sites[20].

Au total, tel que consigné dans le tableau ci-dessous, la région du Nord comptait, en juillet 2014, trois sites d’installation des réfugiés centrafricains. À la même période, la région de l’Adamaoua dénombrait sept sites tandis que la région de l’Est en comptait douze.

Tableau : La répartition des réfugiés centrafricains au niveau des frontières du Cameroun.

RÉGION NOM Distance de la frontière Enregistrés ou préenregistrés Transférés sur les sites Arrivés spontanément sur les sites Restes sur le point d’entrée
ADAMAOUA Ngoui     2 km 7724 4402 442 2880
Gdatoua Godole     5 km 873 319 15 539
Yamba     1 km 4098 1440 64 2594
Alhamdou     2 km 912 322 18 572
Diel     0 km 1765 1470 261 34
Damissa     2 km 62 15 1 46
Kombo Laka   15 km 123 123 2 2
Non renseigné     3470 378 0 3192
SOUS TOTAL     19127 8469 803 9855
NORD Mbai-Mboum     7 km 2525 58 48 2419
Ouro Souley 200 km 566 3 3 560
Guigui 100 km        
SOUS TOTAL     3091 61 51 2979
EST Garoua Boulai     0 km 23690 14591   9099
Kentzou     7 km 22723 12036   10687
Mboy     3 km 758 588   170
Gari Gombo     7 km 568 0   568
Libongo     0 km 1355 734   621
Bela     0 km 1842 904   938
Gribi   15 km 63 37   26
Gbiti     2 km 26953 23748   3205
Bombe Bakari     0 km 1369 1060    
Bombe Pana     0 km        
Nasir     1 km        
Tocktoyo     0 km 1050 1050    
Non renseigné     828 4175   -3347
SOUS TOTAL     81199 58923 0 21967
TOTAL       103417 67453 854 34801

Source : UNCHR Cameroun au 27 juillet 2014.

            C-Panorama des besoins humanitaires des refugiés centrafricains au Cameroun

Depuis septembre 2013, la situation humanitaire en RCA est catastrophique : 1,6 millions hors de leurs domiciles (pour 4,6 millions de population totale), 60 000 enfants exposés à la malnutrition, 650 000 enfants privés du droit à l’éducation, 484 000 personnes exposées à l’insécurité alimentaire, 13 700 malades privés des anti-retro-viraux, moins de 20% de couverture médicale dans le pays, 13 700 recrutés par les groupes rebelles[21].

Les besoins sont plus accrus lorsqu’il s’agit des réfugiés centrafricains vivant à plusieurs centaines de kilomètres de leur habitat originel. Ces besoins sont, entre autres, liés à l’insuffisance des ressources en eau et au logement, à l’accès restreint aux services et commodités alimentaires de base, la dégradation de l’état nutritionnel des enfants à l’exposition aux maladies telles que la rougeole.

III-Réponses humanitaires et avenants (résilients) des réfugiés centrafricains au Cameroun

            A-L’apport du gouvernement du Cameroun

Le Cameroun reste et demeure, l’unique partenaire opérationnel d’accompagnement humanitaire des réfugiés centrafricains. Il intervient à travers les ministères des affaires sociales, de l’eau et de l’énergie ; de l’éducation de base ; de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire ; de la promotion de la femme et de la famille ; des relations extérieures ; de la santé publique. Sont aussi mis à contribution, les services des gouverneurs des régions de l’Est et de l’Adamaoua, etc.

Sur le plan sécuritaire, le Cameroun s’est militairement déployé aux frontières orientales du pays et autour des camps des réfugiés. Sur le plan social, l’hospitalité est offerte à travers l’accueil, la protection des demandeurs d’asile et l’aménagement des  espaces servant de camps de réfugiés, gérés par le HCR. qui plus est, l’Etat en partenariat  avec le HCR, favorise la scolarisation des enfants réfugiés aux écoles et leur accès aux centres de santé locaux.

B-Les réponses des agences internationales

Plusieurs agences internationales (ONG et OI) sont mobilisées, depuis 2007, pour apporter des réponses humanitaires aux réfugiés installés en territoire camerounais. On compte dans les ONG : l’Agence adventiste de secours et de développement, l’Africa Humanitarian Action, l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes, FAIRMED, l’International Medical Corps, l’International Relief and Development, Plan-Cameroun, Première Urgence, Assistance Médicale Internationale, Services de secours catholiques, etc.

La Commission européenne, quant à elle, a alloué 17,2 millions d’euros pour la gestion de la crise, dans l’est et le nord du pays. De ce montant,  3,3 millions d’euros ont principalement servi à l’organisation d’une aide alimentaire et nutritionnelle, d’une protection, d’un hébergement et de distributions d’articles non alimentaires, en soutien aux réfugiés centrafricains.

Bien plus, étant l’une des principales institutions humanitaires du monde, le HCR assure le règlement des crises liées aux refugiés et la protection internationale des personnes fuyant le conflit armé et la persécution dans leur pays. Il est également chargé de contrôler l’application de la Convention de 1951 relatives au statut des réfugiés ainsi que d’autres instruments internationaux en rapport avec la situation des réfugiés[22]. Ceci étant, 96 116 réfugiés centrafricains sont pis en charge par le HCR qui apporte une assistance humanitaire dans les secteurs suivants :

-L’appui à la scolarisation de tous les enfants en âge scolaire et octroi de bourses du secondaire et du supérieur à des élèves et étudiants réfugiés vulnérables et méritants (16 498 enfants scolarisés dans le primaire entre 2014 et 2015);

-Le financement de micro-projets, formations à divers métiers et appui aux activités de petit élevage;

-La construction d’ouvrages hydrauliques pour améliorer l’accès à l’eau en quantité et qualité suffisante (70 points d’eau créés, 70 comités de gestion de l’eau formés et 35 pompes manuelles réparées entre 2014 et 2015);

-La distribution de suppléments alimentaires et matériel humanitaire ;

-La distribution de kits hygiéniques à toutes les femmes en âge de procréer.

C-De la construction de soi à la résilience problématique

Suivant une étude consolidée menée par Care International au Cameroun et validée par l’UNHCR, l’intégration des réfugiés centrafricains au Cameroun est plus aisée en zone rurale qu’en zone urbaine. Car, à l’analyse, les centres urbains sont saturés et offrent un accès limité aux services sociaux de base. C’est pourquoi les réfugiés sont confrontés non seulement aux problèmes de sécurité mais aussi à la construction de soi. Pour cela, à leur arrivée, outre ceux qui sont enregistrés et installés dans les camps appropriés, d’autres résident dans les familles d’accueil, les mosquées ou les hangars. À l’opposé de ceux-ci, les nantis peuvent solliciter des maisons (chambres et maisons à deux pièces) ou construire des abris provisoires en matériaux provisoires (planches en l’occurrence).

Quant à la résilience grâce à laquelle les réfugiés, sortis de la phase dépressive et traumatique, se reconstruisent progressivement, elle est tributaire de l’acceptation affective de ceux-ci par les populations hôtes ; les seconds considérant les premiers comme une main d’œuvre facile et bon marché. Ainsi, pour subvenir à leurs besoins cruciaux, les réfugiés (vivant hors de camps et sites identifiés par le HCR) de sexe masculin exécutent des petits travaux champêtres, domestiques ou commerciaux pour les populations locales. Quant aux femmes, elles font du petit commerce (vente de beignets, bois etc.) et des travaux champêtres, parfois à leur propre compte. C’est pourquoi « le HCR encourage désormais l’installation des réfugiés dans des villages plutôt que dans des camps ou des installations, où des conditions de surpopulation peuvent exacerber les tensions sociales. Afin de faciliter leur intégration et de les aider à devenir autonomes, ces réfugiés reçoivent de micro-crédits pour leur permettre de lancer des activités commerciales ».[23]

De façon plus institutionnalisée, l’Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) s’est élaboré plusieurs objectifs stratégiques à propos des réfugiés vivant au Cameroun : recueillir les données sur les risques et les vulnérabilités, les analyser et intégrer les résultats dans la programmation humanitaire et de développement ; soutenir les populations vulnérables à mieux faire face aux chocs en répondant aux signaux d’alerte de manière anticipée, réduisant la durée du relèvement post-crise et renforçant les capacités des acteurs nationaux ; fournir aux personnes en situation d’urgence une assistance coordonnée et intégrée, nécessaire à leur survie[24]. Ainsi, dans le Plan (révisé) de réponse stratégique pour le Cameroun 2014-2016 (publié en juillet 2014), la réduction de la vulnérabilité (pour lutter contre l’insécurité alimentaire) et la construction de la résilience des communautés sont une priorité. Car, 50 000 femmes et jeunes filles organisées en 25 coopératives de production sont appuyées pour développer des activités de production, transformation, et commercialisation au sein des communautés ; ce qui leur permet d’améliorer le revenu des ménages eu égard à la déstructuration du tissu social due aux mouvements des populations.

Bien que l’hospitalité des populations hôtes soit un invariable irréversible de la construction de soi et de la résilience, l’afflux des réfugiés installés depuis 2007 (et accru par la crise de 2013), outre les difficultés d’accès aux soins de santé, à l’eau potable et à l’alimentation équilibrée, crée des risques/tensions sérieux :

-L’installation de nouveaux commerces (boucherie, alimentation, restauration, menuiserie, artisanat, fabrication de pains) ;

-L’augmentation des cas de conflits agropastoraux entre population locale et réfugiés Mbororo ;

-L’augmentation des prix des vivres et des logements sur les marchés locaux ;

-La surexploitation des ressources naturelles (bois, eau, terres arables) ;

-L’ampleur des cas de prostitution ;

-L’intensification de la prise des stupéfiants (tramol, colle), etc.

Conclusion

Au total, le Cameroun accueille près de 323 000 réfugiés dont 258 000 originaires de la République Centrafricaine et 65 000 du Nigéria. Cette capacité d’absorption du Cameroun est non seulement liée à son hospitalité, mais aussi à la signature et/ou la ratification de plusieurs traités et conventions internationaux. Le grand nombre de réfugiés centrafricains au Cameroun, comparativement aux autres pays de la sous-région Afrique centrale s’explique par la longue durée des exactions commises à l’égard des populations locales mais aussi à l’enchevêtrement des causes belligènes. Ainsi, 258 000 réfugiés centrafricains vivent dans 23 sites identifiés par le HCR, après avoir utilisé plusieurs dizaines d’entrée en terre camerounaise à partir de la RCA.

Bien que la construction de la résilience paraisse plus ou moins difficile, l’aide humanitaire, encore insuffisante, est une excellente occasion d’optimiser la reconstruction progressive du tissu social.

Bibliographie indicative

-Barrios C., «République Centrafricaine : Défis humanitaires, politiques et sécuritaires», Brief Issue, no 37, octobre 2013, p.1.

-Commission européenne, « République Centrafricaine-Impacts régionaux », Écho Crisis Report n°15.

-Decraene Ph., L’Afrique centrale, Paris, CHEAM, 1989.

European Commission/Humanitarian Aid and Civil protection, « République Centrafricaine : Impacts régionaux », Echo Crisis Report, no 15, p.2 ; http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/deve/dv/car_echo_crisis_report_/car_echo_crisis_report_fr.pdf

International Emergency and Development Aid, « Évaluation multisectorielle de la situation des refugies centrafricains dans les sites, les villages hôtes et les points d’entrée de la région de l’Est et de l’Adamaoua au Cameroun du 28 juillet au 03 août 2014», p.7, http://iedarelief.org/wp-content/uploads/2015/09/Evaluation-Multi-Sectorielle-de-la-Situation-des-Refugies-Centrafricains-.pdf

-Muamba Mangala P., « Rôle du haut commissariat des nations unies pour les réfugiés dans la gestion de la situation des réfugiés : le cas du Benin », Université d’Abomey Calavi, Maîtrise en sociologie, année académique 2005-2006.

-Tamekamta A. Z., « Centrafrique : pourquoi en est-on arrivé là et quelle paix au-delà de Djotodjia et de la MISCA ? », Note d’Analyses Politiques, n0 14, Thinking Africa (Abidjan), 23 janvier 2014, consultable sur http://www.thinkingafrica.org/V2/wp-content/uploads/2014/01/TA_NAP_14-centrafrique.pdf

-Tamekamta A. Z., « Gouvernance, rebellions armées et déficit sécuritaire en RCA : Comprendre les crises centrafricaines (2003-2013) », Note d’analyses du GRIP (Bruxelles), 22 février 2013, consultable sur http/www.grip.org/fr/node/821.

[1]En République Centrafricaine, la décennie 2003-2013, comme celle antérieure, a été marquée par l’absence de consensus entre les acteurs politiques et sociaux. La récurrence des bruits de bottes ou de l’option violente nous a recommandé d’explorer la combinaison des facteurs ayant entretenu la récente discorde entre les citoyens de la RCA.

[2] Outre son implication active dans la vie politique de son pays matérialisée par sa candidature aux élections législatives d’octobre 1946, il rompt le ban avec Rome en se mariant à une française. Panafricaniste déclaré, il est demeuré bourgeois modéré et homme politique populaire et combatif.

[3] Lire Philippe Decraene, L’Afrique centrale, Paris, CHEAM, 1989, pp.60-63.

[4] Ce putsch intervient dans la nuit du 31 décembre 1965 au 1er janvier 1966.

[5] Opération organisée par la France.

[6] Palais présidentiel d’antan.

[7] A. Z. Tamekamta, « Gouvernance, rebellions armées et déficit sécuritaire en RCA : Comprendre les crises centrafricaines (2003-2013) », Note d’analyses du GRIP (Bruxelles), 22 février 2013, consultable sur http/www.grip.org/fr/node/821.

[8] A. Z. Tamekamta, « Centrafrique : pourquoi en est-on arrivé là et quelle paix au-delà de Djotodjia et de la MISCA ? », Note d’Analyses Politiques, n0 14, Thinking Africa (Abidjan), 23 janvier 2014, consultable sur http://www.thinkingafrica.org/V2/wp-content/uploads/2014/01/TA_NAP_14-centrafrique.pdf

[9] A. Z. Tamekamta, « Centrafrique : De l’État fantôme à l’État-canon », Brève du GRIP (Bruxelles), 26 mars 2013, consultable sur http/www.grip.org.

[10] Propos de la Commissaire européenne chargée de la Coopération internationale, de l’aide humanitaire et de la réaction aux crises, Kristalina Georgieva, et du président français, François Hollande, lors des réunions à l’ONU en septembre 2013, repris par Cristina Barrios, «République Centrafricaine : Défis humanitaires, politiques et sécuritaires», Brief Issue, no 37, octobre 2013, p.1.

[11] Café, cacao, palmier à huile, plantain, cultivés en zone forestière équatoriale du Sud sur 5 millions hectares (soit 2,89% de la surface totale) ; bois, diamant; uranium, pétrole, or comme ressources naturelles.

[12] www.lanouvellecentrafrique.info/centrafrique-130-000-refugies-au-cameroun-en-trois-mois.

[13]Commission européenne, « République Centrafricaine – Impacts régionaux », Écho Crisis Report n°15, p.1.

[14] Cette saisie comprenait plus de 10 000 munitions de calibre 12,7 mm ; 2 armes anti-aériennes ; 3 roquettes RPG 7 ;  6 obus de mortier ; une cinquantaine de fusils d’assaut ; près de 200 chargeurs et une vingtaine de mines anti-personnel.

[15] Mission internationale de soutien à la Centrafrique.

[16] Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République Centrafricaine.

[17] En 2014, Care International au Cameroun en avait dénombré 28.

[18] European Commission/Humanitarian Aid and Civil protection, « République Centrafricaine : Impacts régionaux», Echo Crisis Report, no 15, p.2 ; http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/deve/dv/car_echo_crisis_report_/car_echo_crisis_report_fr.pdf

[19] European Commission/Humanitarian Aid and Civil protection, « Cameroun », Fiche-Info Echo, no 15

[20] International Emergency and Development Aid, « Évaluation multisectorielle de la situation des refugies centrafricains dans les sites, les villages hôtes et les points d’entrée de la région de l’Est et de l’Adamaoua au Cameroun du 28 juillet au 03 août 2014», p.7, http://iedarelief.org/wp-content/uploads/2015/09/Evaluation-Multi-Sectorielle-de-la-Situation-des-Refugies-Centrafricains-.pdf

[21] Propos du Premier ministre Nicolas Nicolas Tiangaye, à la tribune des Nations unies, le 26 septembre 2013, www.un.org/apps/news/story.asp.

[22] Pour un aperçu général du rôle du HCR, lire Pierre Muamba Mangala, « Rôle du haut commissariat des nations unies pour les réfugiés dans la gestion de la situation des réfugiés : le cas du Benin », Université d’Abomey Calavi, Maîtrise en sociologie, année académique 2005-2006.

[23] http://reliefweb.int/report/cameroon/r-fugi-s-centrafricains-au-cameroun-se-r-inventer-pour-survivre.

[24] http://www.unocha.org/cap/appeals/r%C3%A9vision-du-plan-de-r%C3%A9ponse-strat%C3%A9gique-pour-le-cameroun-2014-2016-juillet-2014

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1 COMMENTAIRE

  1. Article très intéressant qui soulève différentes interrogations. Existe t-il une explication particulière à l’afflux des réfugiés au Cameroun et non dans les autres États voisins à la Centre Afrique. Aussi, la crise centrafricaine avait (d’après les informations une approche religieuse. Cette approche a t-elle pu entraîner l,afflux des réfugiés prioritairement au Cameroun pour les chrétiens ) et dans d,autres pays (pour les musulmans)?

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